Tu n’es plus parce que je suis. Dit comme ça, l’équation paraît simple, voire même résolue. A vrai dire, il n’en est rien, je dirais même que cette dichotomie, depuis toujours, empêche mon âme.
Ta création relevait bien peu de l’humain. Ta raison d’être était une falsification bien peu crédible de la réalité. Ton être, si vulnérable, incarnait le refus insurmontable d’une déception abyssale, et tu devins malgré toi, le paravent derrière lequel se cachait la honte d’un échec. Ce n’était pas tant l’aberration de ma combinaison chromosomique qui les mena à cette folie, elle n’était qu’un point de détail. Notre tragédie trouva racine précisément dans leur incapacité à accepter la vérité, à assumer l’absence d’un fils. Une anomalie sociale dont ils m’imputaient la responsabilité. Leur culpabilité hystérique désignait les attributs masculins comme uniques garants d’une filiation pérenne. Désignée coupable d’avoir précipité leur propre chute, le châtiment fut immédiat, je fus chassée d’un paradis perdu d’avance. Dès mon premier cri, dans un silence qui en dit long, ils créèrent une version parfaitement fantasmée de moi, une version qu’ils auraient réussie en quelque sorte. Tu n’étais pas mon clone, tu n’étais pas mon double sinon nous aurions été deux. Ils te prénommèrent Serge et tu pris ma vie.
Je suis venue au monde et le monde n’a pas voulu de moi, j’ai aussitôt dû te céder ma place et mourir. Alors, je suis morte. Ton âme s’est infiltrée dans mon corps, la mienne, à l’abandon, s’en est allée dans un état de non-être. Puis, quelques semaines plus tard, ton âme assassinée fut jetée au néant et la mienne put réintégrer un corps étranger, le mien.
Après tout, le monde est bien né du meurtre d’un frère. Mais, se remettons jamais d’une si singulière genèse.
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