Je ne savais pas que les réponses n’étaient pas nécessaires, peut-être alors, aurais-je eu le temps de faire sécession. De respirer. Mes mots ont été aussitôt désarticulés pour devenir inaudibles. Mon poème était pourtant relié à la vie. J’habitais déjà le monde. J’étais un monde à explorer. Mon état était un état poétique car j’étais concernée, intensément concernée mais ma famille délaissant la poésie, inventa aussitôt un être qu’elle prénomma Serge. Je ne suis pas un être de fuite mais par circonstance ou par nature, ou peut-être bien les deux, je suis devenue fugace. Je suis une femme fugace, ce qui ne m’empêche pas d’habiter le monde.
Je suis un poème, je suis une question à laquelle personne ne peut répondre. Une question lancée en l’air, à l’univers. Ils ont cru devoir y apporter un soulagement alors ils t’ont inventé. Tu étais. Qui étais-tu au juste ? Un être voué à l’éphémère, un fantasme mais tout aussi bien une âme. Un garçon. Moi.
L’univers ne résiste pas à un poème.
Selon Aristophane, tu étais l’autre moitié de mon unité primordiale. Ce mythe fondateur en vaut bien d’autres, il explique mon monde, il me convient, je l’ai même attendu très longtemps et n’en déplaise à Platon, la science aujourd’hui y trouve inspiration. Toi et moi étions une unité fille-garçon, unité à jamais perdue et dont je suis nostalgique. Qui ne le serait pas. Toi et moi nous étions la perfection. J’ai connu cette perfection. J’ai vécu cette unité. Mon âme s‘en souvient, mon corps s’en souvient. Et puis, un beau jour, craignant pour leur pouvoir, les dieux ont décidé de la détruire. Aristophane considère l’apparition du nombril chez les premiers humains comme étant la cicatrice de la séparation. Au creux du mien, une petite tache de sang y est logée. Dans mon cas, la castration n’explique rien parce que tu n’étais pas supérieur à moi et nous étions encore moins complémentaires. Notre tour de force, ma chance tient du fait que nous n’étions pas Adam et Eve. Nous étions beaucoup mieux. Une unité parfaite. Je ne suis pas sortie de ta côte, ni toi de la mienne, ce mythe sans aucune poétique rend ma vie immobile. Je suis une femme immobile, ce qui ne m’empêche pas de parcourir le monde.
Je peine à trouver une âme frère parce que je t’ai connue dès mon premier souffle et que la perfection n’est pas de ce monde. Je n’appartiens pas à un deuxième sexe, pas plus à un fantasmagorique troisième sexe et je délaisse toute âme sœur puisque je sais que ma moitié est un garçon.
Infernale solitude sans toi.
Un Serge fantasmé qui a existé, très éphémère, au coeur des entrailles...et dont l'existence a avorté... ? Ou un Serge tellement installé en toi qu'il t'a été refusé d'exister par toi-même ?
Ces questions n'ont pas nécessairement besoin de réponses...juste besoin d'être déposées...
Merci pour ce texte... Il va animer une part de mon âme... 😘😘