top of page
  • alencreclaire

Sans bruit

Dernière mise à jour : 8 mars 2021

Te souviens-tu nos escapades nocturnes au mois de juin lorsque la pleine lune plaquait nos ombres sur le mur de la grange ? Le silence de la nuit régnait sur la maison, nous filions alors par la fenêtre basse, et courrions jusqu’au fond de la grande cour aux pavés disjoints, rendant notre course difficile. La grange nous servait de refuge s’il nous fallait battre en retraite. Le chien du voisin nous contraignait à faire un détour sans fin par l’étang. De jour, il était notre meilleur ami, mais la nuit, il montait la garde et se mettait à aboyer au moindre bruit, ce qui rendait très nerveux, son maître planté sur le pas de sa porte occupé à scruter un horizon menaçant. Nous avions tout essayé pour déjouer les sens de ce cabot jusqu’à lui refiler la viande dont nous nous étions privés au dîner et avions planquée dans nos poches déformées. Nos parents, exténués par de longues heures harassantes passées dans les champs en pleine chaleur, n’avaient plus le courage de nous forcer à manger. Aussitôt, la cuisine remise en ordre, ils montaient se coucher, et s’endormaient, assommés de fatigue.

Passé le muret, les hautes herbes se couchaient sous nos pieds, nos souffles étaient à l’unisson, le ponton apparaissait déjà. L’eau de l’étang ondulait sereinement et nous nous arrêtions ravis d’avoir échappé à la vigilance du molosse endormi. Nous pissions fièrement sur les crapauds pour les faire taire et pour se mesurer l’un à l’autre sans nous l’avouer. Nos cœurs reprenaient un rythme plus nonchalant, et nous repartions en silence, tout à notre quête du Graal. La lune blanche nous ouvrait le chemin.

Près du vieux moulin, nous attendait une corne d’abondance à nulle autre pareille. Le cerisier, vigile sans âge de notre village, se dressait avec humilité. Ses branches généreusement chargées, ployant jusqu’au sol, facilitaient notre assaut. La chair rouge et sucrée à portée de nos bouches gourmandes tâchait nos visages d’enfants. Nos doigts vermillon laissaient des traces épaisses sur nos shorts déchirés. Nous étions heureux.

Au petit matin, nous rentrions, côte à côte, courant à grandes enjambées, ivres de bonheur. Forts de note maraude, nous passions sous la fenêtre éclairée du voisin dont le gros nez plongeait dans un bol ébréché. Nos rires saluaient la lune endormie.

5 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page